Cet essai aborde les éléments de langage mis en place par le pouvoir lorsqu’il est confronté comme c’est le cas à Notre-Dame-Des-Landes à une opposition massive. Cette analyse de Jean Petit , membre d’un comité de lutte créé en 2012 lors de l’opération César* à Notre Dame Des Landes, est remarquable à plus d’ un titre.
Il s’agit d’un exposé magistral sur les méthodes d’ingénierie sociale de l’état, sur la façon de faire de « la politique de l’acceptabilité », sur les mécanismes de propagande.Sa lecture en est d’autant plus jubilatoire que dans le cas étudié ici (la construction d’un nouvel aéroport à NDDl) ces méthodes, cette rhétorique n’aboutissent pas. Le projet contesté aura finalement fédéré et conforté de nombreuses voix de défenseurs de l’environnement, de naturalistes, d’ anti-capitalistes, de décroissant.es, de démocrates réels, d’ indigné.es …
Patiemment, avec une rigueur scientifique, tous les arguments rhétoriques sont démontés et les méthodes mises à jour :
La communication visant à faire accepter le projet d’aéroport est analysée en 3 points :
Séduire
Pour séduire l’opinion les promoteurs du projet auront utilisé :
La croissance économique régionale, la « haute qualité environnementale » du projet, le chantage à l’emploi, la légitimité démocratique des défenseurs institutionnels du projet, et enfin le respect de la loi et de l’ordre. « C’est la position dominante des élus et du patronat qui est menacée si la légitimité de leur position était remise en cause. »
Diviser
Les « bons opposants » et les « méchants squatteurs »
« Diviser pour régner »
« … il leur faut briser l’unité du mouvement en faisant passer certains opposants pour violents et dangereux. »
Les bons citoyens contre les mauvais, les illégitimes, les dangereux, les casseurs, les « guérilleros » voire … les étrangers à la région ou à la nation.
Sans oublier ainsi de flatter la fibre « souverainiste » des autochtones.
Tromper
L’exagération des enjeux grâce à l’utilisation d’un vocabulaire de guerre.
“Ce n’est pas plus compliqué qu’au Mali !” s’exclame l’inénarrable Jacques Auxiette **
L’opération César avait pour finalité l’expulsion des occupants et la destruction des lieux de vie sur la Zad. Soit près de 2 200 hommes »
« un hélicoptère EC 135, des équipes cynophiles, des brigades motorisées, le service des SIC, la cellule d’appui à la mobilité, le véhicule Œil et 2 véhicules blindés à roues gendarmerie ».
Dans l’ensemble, au plus fort de la crise, il y avait deux fois plus d’hommes mobilisés à Notre-Dame-des-Landes qu’en Afghanistan !
C’est qu’il y a urgence en la demeure : il faut juguler la radicalisation des classes moyennes sensibilisées à la protection de l’environnement et au manque de concertation dans les prises de décision d’aménagement du territoire.
Vieilles ficelles de la propagande d’état que cette utilisation de la « Stratégie du choc » :
«Pour être efficace, explique le sociologue Mathieu Rigouste, un montage doit théoriquement être basé sur un « choc » émotionnel, qui fait régresser le spectateur et le prépare à digérer la propagande »
Mais « ces différentes manipulations révèlent en creux les points faibles du dossier, et ce que les partisans du projet souhaiteraient « faire entrer » dans les têtes des citoyens. »
Si comme l’affirme le sociologue Mathieu Rigouste : « Même la terreur d’État industrielle ne peut rien contre un peuple uni et résolu »***
Jean Petit tempère l’apparente grossièreté des moyens utilisés en nous appelant à la vigilance et au décryptage :
« Ne soyons pas naïfs, aussi rudimentaires que peuvent être ces manipulations, elles s’adressent d’abord aux gens qui ne connaissent pas le dossier et peuvent donc porter. Le pouvoir ne cherche pas nécessairement à «faire mouche » d’un seul coup, mais bien plutôt à distiller dans les têtes telle ou telle notion pour renverser l’opinion à son avantage. »
Cette « bataille » de notre dame des landes : bataille idéologique et culturelle comme nous l’avons vu reste un magnifique exemple d’irruption et de réappropriation du débat démocratique face à un projet monté par et pour les tenants et bénéficiaires d’un système productiviste, marchand, bien loin des préoccupations réelles des citoyens .
« Ce qui est remarquable ici, c’est que les citoyens peuvent faire barrage à une entreprise internationale aussi puissante que Vinci, elle-même soutenue par l’État et tous les échelons des pouvoirs territoriaux! C’est la démonstration qu’une opposition structurée et déterminée peut faire échouer n’importe quel projet inutile et imposé. Nous sommes in fine les artisans de la société dans laquelle nous vivons. Les promoteurs du projet le savent parfaitement. Au- delà du cas NDDL, les tenants du pouvoir cherchent à empêcher toute percée de l’auto-détermination par la société civile. »
Il ne s’agit pas seulement de la contestation d’un simple aéroport de plus, le conflit porte sur « la subordination de l’économie à l’écologie »
Nous sommes contre le projet d’aéroport … et du monde qui va avec : un monde dirigé par les bénéfices de quelques actionnaires au détriment de notre environnement au sens le plus large.