Le mouvement des indigné-es serait-il un sorte de sous printemps arabe, de mobilisation contre la crise, contre la corruption ?! Ou la diffusion massive des idéaux autonomes ?
Il est temps de remettre nos pendules historiques à l’heure. Le mouvement n’est pas sorti de la cuisse de Madoff mais il a un histoire, longue et riche et c’est en s’appuyant sur celle-ci que le mouvement se construit, se répand et prend sa consistance. Je replacerais ici le mouvement du 15M dans la continuité des mouvements autonomes, anti autoritaires, auto gestionnaires espagnols à l’aide de textes extraits de diverses brochures issues du mouvement.
La movida sociale : un mouvement antiautoritaire
Les années 1980 représentent pour l’Espagne la seconde étape de ce que l’on a nommé la « transition démocratique » et son intégration à l’Europe. Cette période fut l’occasion d’une intense agitation sociale, particulièrement dans les territoires basques. Outre les mouvements nationalistes, on y vit fleurir un mouvement antiautoritaire, libertaire, prenant comme esthétique la vague punk qui balayait alors tout le pays.
Ce mouvement eut de multiples aspects : squats, radios pirates, fanzines, musique. Il se retrouva mêlé aux luttes ouvrières, étudiantes, féministes, antimilitaristes, écologistes, pour le logement…
Il fut en butte à la répression des États espagnol et français ainsi qu’à l’ostracisme ou aux calomnies du mouvement de libération nationale basque classique.
« A la fin des années 80 et au début des années 90, à chaque fois qu’un collectif de jeunes s’organisait, les partis d’extrême-gauche se précipitaient à leur tête, et plusieurs collectifs furent infiltrés par le parti maoïste Movimiento Comunista. Quand la direction du Movimiento Comunista fusionna avec celle du parti trotskyste LCR, une partie de leurs bases, et particulièrement les jeunes, commencèrent à s’intéresser au discours anti-parti. Quand les autonomes et les partis entraient en contact, c’était eux, plutôt que de nous absorber, qui assimilaient notre discours anti-parti, et de cette manière nous faisions un important travail de dissolution : des gens des jeunesses du MC, LCR, PCE, ML, ont fini dans des collectifs de la Coordinadora de Lucha Autonoma et dans d’autres structures du mouvement autonome. »
90s : coordination des collectifs
L’organisation de ces différents jeunes collectifs se cristallise en octobre 1990, dans des journées qui donnent naissance à la Coordinadora de Colectivos de Lucha Autonoma (Coordination de Collectifs de Lutte Autonome), comme structure de communication et de dynamisation de l’Autonomie.
Le discours anti-parti
La critique de l’avant-gardisme, des partis et des syndicats, est menée à travers une pratique d’organisation autogestionnaire, anti-hiérarchique et anti-autoritaire, réelle et effective.
« Les nouveaux militants de Lucha Autonoma sont jeunes et peu expérimenté-e-s. « La majorité des gens entrent dans le collectif avec un idéal vaguement anti-capitaliste, l’impression qu’il faut se battre contre le système et que le réformisme ne mène à rien. En réalité, c’est dans le collectif qu’ils se forment politiquement. Aussi bien au niveau théorique que pratique : comment convoquer une mobilisation, comment faire une assemblée… Les gens les plus vieux, venant d’autres collectifs, s’occupent de la formation des plus inexpérimenté-e-s. Pendant la première année, dans toutes les assemblées il y avait quelqu’un-e qui apparaissait avec un texte sur l’organisation, la violence, la femme… Et puis, quand tu commences, tu lis tout ce qui te tombe entre les mains… En plus nous faisions beaucoup de débats, parce que nous n’avions clairement qu’une toute petite base théorique, et nous faisions beaucoup de choses, et donc tu te retrouves face à des doutes que tu dois résoudre : le droit à l’auto-défense, le travail avec les associations de voisin-e-s, les partis politiques… »
La rupture avec les dogmes et les formes de militantisme de la vieille gauche se manifeste de cette manière mais aussi sous l’aspect de peurs. Peur du leadership des vétérans, peur d’un militantisme exhaustif et prenant, peur des assemblées interminables qui font fuir celleux qui débutent dans le collectif.
Presque tous les ans ont été réalisées des assemblées de bilan dans lesquelles, de façon progressive et parfois insistante, des débats se sont produits et des textes ont été élaborés, sur des thèmes comme le travail de quartier, la critique de la forme-parti, l’expérience des centres sociaux autogérés, l’autonomie et la coordination, l’intervention sociale, les drogues, le patriarcat, les groupes non-mixtes, le mouvement autonome, les tentatives de coordination nationale de l’Autonomie, l’anti-fascisme, l’anti-militarisme, etc… »
Les « ilôts subversifs »
« Nous voulons nous assembler entre plusieurs groupes, parce que les conceptions anti-autoritaires (ou de démocratie directe ou populaire) que nous défendons, pour avoir du sens, doivent être acceptées, intériorisées et pratiquées par l’immense majorité de la société. Nous devons pour cela construire un mouvement, avec une vocation de mouvement de masse (pour de vrai, pas pour rire), doté d’un poids social, dans lequel convergent les différents « ilôts subversifs », et où nous nous reconnaissions, derrière des pratiques collectives plus que derrière une étiquette. Ce mouvement doit être autonome, c’est-à-dire séparé et opposé aux intérêts, rapports et « subjectivités » (représentations du monde, passions, idées…) que le capitalisme nous impose, son axe doit se trouver dans la lutte pour nos conditions de vie immédiates, pour la réappropriation du contrôle de nos existences (à travers le rejet collectif de l’argent et de l’échange marchand comme centre de tout), et pour le développement de notre créativité, écrasée depuis le berceau. Quand nous parlons de la « subjectivité capitaliste », nous y incluons une partie du paradigme traditionnel du mouvement ouvrier. Nous faisons nôtres ses aspirations, sa défense du soutien mutuel et de la solidarité, mais nous rejetons frontalement sa considération du travail salarié comme axe fondamental de la réalisation de soi, sa façon de s’en remettre à un futur prometteur au lieu d’assumer la révolution comme processus quotidien, sa foi productiviste selon laquelle plus on produit plus la richesse sociale est grande, et sa subordination systématique de l’émancipation de la femme à une révolution lointaine. »
la conscience que quelque chose doit changer…
Cependant nous voyons quelque chose de neuf dans ce processus, par rapport aux essais antérieurs de convergence : la conscience que quelque chose doit changer… qu’il est absolument nécessaire de réenvisager la recomposition de la subjectivité autonome pour recommencer à réfléchir avec notre propre tête dans l’essai de compréhension de nouvelles trajectoires. Nous en sommes au point, semble-t-il, où presque tout le monde est convaincu qu’il en est ainsi. Mais, même en étant convaincu-e-s, rien ne nous garantit que nous ne nous tromperons pas, les choses qui valent le coup portent toujours sur le dos une dose de danger…
la « zone d’autonomie »
« Quoi qu’il en soit, il serait imbécile de notre part de ne pas nous rendre compte qu’il y a des espaces où coïncident fondamentalement les collectifs autonomes, qu’il y a des langages et des politiques qui n’affectent que les collectifs de la « zone de l’autonomie ». Il y a, par conséquent, des espaces exclusifs du commun : des espaces qu’il faut analyser et discuter, pour libérer l’autonomie dans la société. Organiser cela est indispensable, parce que la possibilité d’autonomie dépend en grande partie de la potentialisation de ces espaces exclusifs
L’autonomie, comme pièce centrale de l’organisation et de l’action politique, s’appuie sur la volonté que la communauté sociale décide directement de l’organisation et des buts de sa propre existence. C’est-à-dire que les individus réalisent un effort intense de réappropriation de leur vie.
L’autonomie comporte ainsi tout un ensemble de traductions bien connues, comme le rejet du patriarcat ou des relations de domination de genre, l’anticapitalisme, l’autogestion, l’anti-étatisme, l’auto-organisation, etc… Des luttes et des positions qui ont toutes une longue expérience historique. Ainsi le projet se place dans une tradition historique déterminée, non pas pour répéter d’anciennes formules, mais pour en produire de nouvelles qui reprennent et rénovent l’ancien sens de la théorie et de la pratique. »
(Les textes sont extraits de brochures traduites et mises en ligne sur infokiosque)Chronologie
– 1990 : création de la coordination de collectifs autonomes madrilènes Lucha Autonoma.
janvier 1999 : début de la refondation de Lucha Autonoma : première assemblée.
premiers mois de 1999 surtout : écriture, par les différents collectifs impliqués dans cette refondation, des textes présentés dans cette brochure.
automne 1999 : parution de ces textes, et d’autres textes sur les mêmes thèmes, dans le troisième numéro de la revue ContraPoder (organe de communication et de débat des collectifs autonomes).
juillet 2001 : traduction de ces textes, par un non-spécialiste, du castillan au français. Toute envie de participer à la correction et à la retraduction de ces versions est la bienvenue. Dans cette optique, ou dans celle d’une simple consultation, l’original en espagnol de la revue était disponible à l’infokiosque de feu les 400 Couverts, à Grenoble.
Le 20/02/1999 s’ouvrit la première assemblée de la refondation de Lucha Autonoma. Cinq assemblées suivirent jusqu’à juillet 1999. Les critères de sélection des collectifs invités étaient variés : « Être extérieurs aux institutions, vouloir créer des structures stables, avoir une mentalité unitaire et intégratrice, avoir une pratique commune et pas seulement une théorie commune, être des collectifs autogérés et non hiérarchisés. »
L’appel du 15 mai 2011
50 000 personnes
Le 15 octobre : première journée mondiale des indignés
951 villes de 82 pays
etc… ce n’est ni le début ni la fin de la lutte pour l’autonomie